RITOURNELLE

Chez les Ouroumov, chacun à son rythme de vie qui lui est propre. Madame est debout depuis sept heures du matin, malgré la soirée caritative chez les Jenkins à l’ambassade hier. Comme toujours, elle semble parfaite, fraîche comme si elle avait encore vingt ans, habillée, coiffée et caféinée , le tout comme une femme d’affaire en tailleur Dior qu’elle fait importer directement de France. Il est à présent dix heures et elle tient son énième tasse de café. C’est son carburant, le café, ce qui l’empêche d’avoir un coup de mou après ses séances de botoxe. « Non … Non Natalia je refuse de me montrer là-bas c’est … » Madame Ouroumova ne travaille pas. Elle passe son temps à avoir des discussions de femmes du monde … enfin de femmes supposées importantes pendant que leurs maris font des affaires. Si ce n’est pas le téléphone ce sont les déjeuners, les sorties shopping entre amies … Vous voyez le genre. Madame Ouroumova raccroche après une heure de conversation avec son amie Natalia quand son fils descend mollement les escaliers en marbre, encore en pyjama. Pas besoin d’un diplôme pour savoir qu’il vient de se réveiller. Piotr descend avec un simple bas de jogging sur le dos, adorant étaler sa plastique sculpturale et imberbe, même devant sa mère et la femme de chambre. Ce mec n’a que dix-sept ans, et c’est déjà un aussi beau parleur que son père. « Piotr, chéri, mets toi quelque chose sur le dos ! » Piotr envoie un sourire à sa mère qui veut dire en quelque sorte ‘’c’est ça maman, t’es gentille tu te la fermes !’’ avant d’aller chercher un bol, du lait et des céréales dans le placard et de s’installer au bar pour manger … mollement. Piotr avant son déjeuner il ne faut pas lui parler. « Tiens, mademoiselle Sofia rentre revient de son jogging ! ». Elle c’est Zlata, la femme de ménage. Elle s’occupe de la villa des Ouroumov depuis dix ans maintenant et elle a vu les deux enfants, Piotr et Sofia, devenir des adultes, enfin des adolescents. Mine de rien, avec l’arrivée de ces derniers, la villa d’habitude si calme devient soudainement plus agitée. Sofia arrive dans son jogging moulant noir et rose et enlève ses oreillettes en voyant tout ce petit monde dans la cuisine. Enfin, en voyant son frère, elle lève les yeux au ciel. « Tu devrais mettre, un t-shirt frangin, et arrêter de te prendre pour Dieu ! » « Et toi tu devrais arrêter de te la jouer aussi, fran-gine. » Les jumeaux s’envoyèrent un regard ironique. Oui, Piotr et Sofia sont jumeaux et vont encore au lycée. Comme vous l’avez sûrement deviné, ils font partis de la jeunesse dorée de Saint-Pétersbourg. Piotr continue de manger ses céréales avec une tête de déterrée, Madame s’apprête à passer un autre appel et Sofia s’installe au bar à côté de son frère avec un verre d’eau. La jeune fille se saisit du journal du jour et le parcourt d’un air distrait jusqu’à ce que ses yeux tombent sur la page désirée. « MAMAN ! Le prochain bal est le quatorze ! Faut absolument qu’on y aille ! » Piotr fait mine d’avoir mal aux oreilles après le cri surpuissant de Sofia mais cette dernière s’en moque. Madame Ouroumova place sa main sur le combiné du téléphone et se tourne vers elle. « On en parlera plus tard jeune fille. » Et elle reprend sa conversation comme si de rien était, laissant Sofia bouche-bée. « Maman ! Qu’est ce qu’il y a de plus important qu’un des bals au palais ? Toutes mes amies y vont déjà ! Tu sais à quel point c’est important d’y aller ! Toutes mes amies y vont ! » « Tu sais, je ne vois pas l’intérêt que tu portes à ces bals ! C’est ouvert à tout le monde. » Puis elle part dans une autre pièce pour terminer son coup de fil en paix. Sofia reste la bouche ouverte à nouveau, ce qui fait rire son frère qui, ayant fini son bol de céréales, se lève pour le ranger dans l’évier. Sofia voit très bien ce qu’a voulu dire sa mère dans sa dernière phrase. « Maman ! C’est ouvert à tout le monde oui mais faut de l’argent pour les costumes, donc y a jamais de pauvres aux bals du palais, qu’est ce qu’on en a à faire ? » Elle crie pour se faire entendre mais n’obtiendra plus aucune réponse. Piotr lui jette un regard méprisant à cause du comportement qu’il s’amuse à qualifier d’Hiltonien, de sa sœur. C’est sûr, chacun ses priorités, pour Sofia c’est d’aller à ce foutu bal avec la plus belle robe possible et pour d’autres, c’est pour boucler les fins de mois …

RITOURNELLE

Masha a huit ans. Elle vit dans une petite maison dans la banlieue de Saint-Pétersbourg. Il va être vingt-et-une heures et elle est dans sa chambre, en train de feuilleter un petit cahier, dans son petit pyjama rose, sur son petit lit avec ses petites couettes brunes. Oui, comme les gens disent souvent à propos des enfants, Masha est la plus jolie petite fille du monde avec ses cheveux ondulés. Il va bientôt être l’heure de se coucher et elle attend patiemment que ses parents viennent lui dire bonne nuit. Oh, et il y a sa boîte à musique à côté d’elle qu’elle fait marcher sans arrêt parce que la mélodie est tellement jolie et douce. « Eh petit cœur ! » Masha relève la tête vers ses parents qui sont sur le seuil de la porte. « Maman ! Papa ! » Le sourire qui illumine son visage est tellement beau que chaque soir, quand cette scène se produit, ça devient contagieux. Malgré les cernes et l’épuisement, Mark et Marlen réussissent encore à sourire et avoir des étoiles dans les yeux, rien qu’en regardant leur petite princesse. Mark s’avance le premier vers sa petite fille pour la serrer dans ses bras. « Une histoire ! » Mark sourit mais finit pas répondre. « Désolé mon ange, papa et maman sont vraiment très fatigués ce soir, mais tu auras le droit à des chatouilles et à un gros bisou ! » Joli scène, papa qui fait des chatouille à sa petite fille en l’embrassant et la petite fille qui rit aux éclats. Marlen les regarde tous les deux et ça lui réchauffe le cœur. Elle vient de passer une journée de plus à la caisse de ce foutu supermarché, à trimer pour un salaire de misère tout ça pour servir des … Elle ferme les yeux pour arrêter de penser aux mauvaises choses car à la maison, il faut faire semblant devant la petite, faire comme si tout allait bien. Mark dépose un dernier baiser sur la joue de sa fille et sort de la chambre. Il vient de passer toute une journée à son bureau à écouter les problèmes d’argent des gens alors qu’il en a lui-même. Un comble. Tout ce qu’il veut, c’est dormir et il a hâte que sa femme le rejoigne pour un peu de douceur. Marlen lui sourit et s’approche à son tour de sa fille pour lui faire un câlin et Masha retourne à son cahier. Malgré sa fatigue, elle reste près de sa fille parce qu’elle ne supporte pas de la voir en coup de vent. « Qu’est ce que tu fais chérie ? » Elle s’agenouille et passes bras autour de la taille de Masha qui feuillète toujours son cahier. « J’ai fait un cahier, regarde ! » Masha lui donne le cahier et Marlen sourit au fur et à mesure qu’elle le regarde. « Maintenant on sait qui découpe les journaux de papa ! » Puis elle continue de tourner les pages et son sourire a du mal à être aussi naturel. « C’est sûr les bals au palais … T’as vu toutes les belles robes qu’elles ont ? Je voudrai tellement y aller … j’en rêve ! » Vas-y Marlen, continue de sourire face à ton innocente petite fille qui vient de dire que son plus grand rêve dans la vie est juste d’aller à un des bals au palais. Vas-y, dis lui que tu ne peux pas lui offrir. « Pourquoi on n’y va pas nous ? » Mince. Finalement elle aurait peut-être dû aller se coucher aussi. Calme toi Marlen, c’est ta fille que t’as en face de toi, pas la pétasse de la caisse neuf. « Ce genre de choses Masha, ce n’est pas pour nous … » « Mais pourquoi ? C’est dit que c’est ouvert à tout le monde. C’est écrit là. » Et elle lui montre sur le cahier. Marlen perd son sourire parce que Masha la regarde comme le font tous les enfants, avec des yeux tellement purs et innocents qu’ils pourraient faire craquer n’importe qui. Parce que Masha c’est la plus adorable petite fille de huit ans au monde et qu’elle mériterait d’avoir tout ce qu’elle veut. « Disons qu’il faut des choses pour y aller chérie et que papa et maman n’ont pas ces choses … » Elle la regarde d’un air désolée. « Mais je te jure qu’un jour tu pourras y aller d’accord. Il faut juste être un peu patiente mais je ferai tout pour que ma princesse aille à un bal. » Masha finit par sourire et la serre avec ses petits bras. « Bonne nuit chérie. » Parce que Masha c’est la plus gentille petite fille de la Terre, elle mériterait tellement plus d’aller à ces bals que ces petites pestes friquées. Malheureusement, Marlen ne peut rien y faire. Il faut avoir des costumes d’époque pour y aller au bal, mais ça coute tellement cher. Donc en fait, c’est bien mignon d’ouvrir les bals à tout le monde mais beaucoup de gens ne peuvent y aller car payer les costumes coûte trop cher. Quelle bande d’hypocrites ! Marlen soupire et va se coucher. Et puis au moment où Marlen sort de la chambre et referme la porte, la mélodie du bonheur provenant de la boîte à musique s’arrête.

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Saint-Pétersbourg, deuxième plus grande ville de Russie, environ 4,5 millions d'habitants. Pas aussi important que Moscou, la capitale qui fait rêver, mais importante et prisée quand même. Saint-Pétersbourg est une ville chargée d’histoire avec ses palais, ses tsars, ses empires et ses révolutions. Des centaines d'âmes, toutes différentes qui n'ont parfois pas conscience que quelqu'un d'important pour eux dans le futur peut se cacher au coin de la rue. Car comme on dit, si on cherchait bien, on trouverait des liens pour relier tous les habitants de cette ville, que ce soit entre un homme d'affaire véreux et une vieille dame, ou un trentenaire au chômage et une adolescente qui passe son temps sur la perspective Nevski. De nos jours, il faut se battre pour vivre. Ce n'est plus si facile qu'avant. Alors la nouvelle génération se bat pour ses droits, certains plus que d'autres et avec plus ou moins de chance. La difficulté côtoie la facilité. L'ancien côtoie le moderne. Bref, la vie de milliers d'êtres qui ne désirent qu'accomplir leurs rêves et de les partager.