Journée de merde. Vie de merde. C’était ce qui résumait le plus la vie de Nicolaï Alekseï Potroïvski, qui faisait partie malgré lui des plus grandes fortunes de Saint-Pétersbourg parce qu’en plus d’être assis sur la fortune de son père, Nicolaï était un avocat considéré comme un vrai requin, mais c’est bien connu : il y a des choses que l’on n’achète pas. Si le respect lui était acquis, ce n’était pas le cas de ces choses toute simple qui font tourner le monde : l’amitié, l’amour… Rien n’était simple, surtout chez les Potroïvski. Depuis sa plus tendre enfance, Nicolaï avait grandi sous le poids de responsabilités beaucoup trop lourdes pour ses épaules, son père lui avait bien fait comprendre qu’il était l’héritier direct de l’entreprise familiale qu’il ne voulait pas reprendre. Les choses s’étaient finalement tassés entre eux, son père accepta de voir son fils partir aux Etats-Unis pour y suivre des études d’avocat, une coupure plus que bénéfique avant que les choses ne deviennent encore plus compliquées qu’elles ne l’étaient au départ. A son retour, il y avait eu cette étrange histoire avec Annushka, la maladie de sa mère qui avait conduit aux sentiments amoureux qu’il éprouvait désormais envers sa sœur cadette, le décès de sa mère et bien sûr la révélation qu’elle lui avait faite sur son lit de mort : Nikita n’était pas sa sœur biologique et son amour pour elle n’était peut-être pas si insensé que ça après tout. Sa vie était un bordel sans nom. Il avait l’impression que son univers avait éclaté et qu’il ne vivait plus que pour son boulot. Chaque jour, Nicolaï se tuait à la tâche, étudiant toute la pile des dossiers de ses clients dont il avait l’impression de connaître la vie par cœur. Il n’était pas du genre à comparer sa vie à celles des autres parce qu’après tout, la vie est une tartine de merde et on en bouffe un peu tous les jours. Non. Il se tuait à la tâche pour penser à autre chose qu’à cette soirée étrange où il avait presque couché avec sa « sœur ». Ca le tuait de savoir qu’elle l’aimait sans connaître la vérité et il ne suffirait que tout lui avouer pour qu’ils puissent enfin vivre leur amour cependant, Nicolaï avait fait une promesse à sa mère. Il aurait été trop égoïste de lâcher cette bombe uniquement pour pouvoir concrétiser. Totalement absurde. Gâté par la nature, les filles allaient et venaient dans sa vie. Nicolaï ne voulait pas d’attaches même si Annushka avait été sa plus grande relation. Elle n’était pas comme toutes les femmes, elle était… spéciale, peut-être parce qu’elle l’intriguait, Nicolaï restait subjugué et irrémédiablement attiré par le mystère qu’elle savait entretenir autour de sa vie et un beau jour, elle décida de rompre. Le russe avait senti le vent tourné, elle s’éclipsait souvent au petit matin et ne venait le voir que lorsque l’envie lui en prenait… Cette relation lui convenait tout à fait, Nicolaï avait grandement besoin de simplicité à cette époque de sa vie, mais Annushka y avait mis un terme. Il l’apparentait souvent à un chat, jusque dans sa manière d’entrer chez lui : par la fenêtre.

Ce soir-là, Nicolaï avait décidé de rentrer tard. En sortant de son cabinet, il avait pris la direction du premier bar qu’il croisa sur sa route pour y noyer ses problèmes tout en suivant un match de rugby après quoi il entama une partie de billard avec le pochtron du coin qu’il pluma sans aucune pitié, fort heureusement pour lui, ils n’avaient pas parié argent, mais pichet de bière. Content de s’être trouvé un compagnon d’infortune, Nicolaï s’attarda en sa compagnie jusqu’à ce qu’il eut estimé avoir dépassé son taux d’alcoolémie dans le sang. Dans un élan de sagesse, il décida de laisser sa voiture et de rentrer chez lui en titubant légèrement. Sa tête tanguait, mais il était encore parfaitement conscient de ses actes et de ses paroles. Il était bon pour une belle gueule de bois. Ca lui arrivait fréquemment ces jours-ci, sa consommation d’alcool avait presque doublée en un an. L’air frais de Russie n’allait pas arranger son état, mais l’aiderait à se réveiller un peu plus. Nicolaï eut un peu de mal à enfoncer la clé dans la serrure du 1322, quartier nevski. Il poussa la porte, entra, la referma et comme un automate tapa son code pour stopper l’alarme de sécurité avant que celle-ci ne s’enclenche cependant, il n’y avait aucune réaction de l’appareil. Avait-il oublié de l’activer ? Impossible. Il fronça les sourcils, s’avançant dans l’ombre de son loft qu’il pouvait parcourir les yeux fermés tant l’endroit était spacieux en plus d’avoir été conçu par un architecte à sa demande. Une légère brise vint caresser son visage. La fenêtre du salon était ouverte et les rideaux claquaient au vent. Il la referma aussitôt. Quelqu’un se trouvait chez lui. Nicolaï tira le tiroir de sa commode, se débarrassa du double fond et y prit son arme à feu puis, avança lentement dans son appartement. A sa grande surprise, une silhouette qu’il n’eut aucun mal à associer au corps d’une femme se trouvait dans le fauteuil. Nicolaï alluma la lumière, mais la place était à présent vide. « Je ferais bien de décuver. » finit-il par dire en posant l’arme sur la table basse pour venir se vautrer dans le canapé en question.

Quotidiennement, Nicolaï se laissait tomber dans le fauteuil avec la conviction qu’il n’était qu’un bon à rien en ce qui concernait les relations sociales. Professionnellement parlant, le fils des Potroïvski n’avait jamais eu à se plaindre puisqu’il était brillant, en plus d’avoir le privilège d’être né avec une petite cuillère en argent dans la bouche. La vie lui souriait d’un côté, mais lui faisait de sacrés doigts d’honneur de l’autre. Sa vie sociale était un véritable désastre notamment à cause des mises en garde continuelles d’un père ayant lui-même peu confiance en la race humaine. Nicolaï était pourtant un homme charismatique qui n’avait pas forcément besoin de parler pour se faire remarquer, mais le fait est que ses amis se comptaient sur les doigts d’une seule main. La majeure partie d’entre eux vivaient aux Etats-Unis, des copains de la faculté où il avait étudié le droit. Malgré la barrière de son accent slave fort prononcé, Nicolaï n’avait eu aucun mal à se faire lier d’amitié avec ses camarades de classe ainsi qu’aux autres étudiants du campus parce que là-bas, il était apprécié à sa juste valeur et non à celle de son portefeuille qui allait de paire avec son nom de famille. Toujours les yeux clos, il se pinça l’arrête du nez en sentant qu’un mal de crâne commençait à poindre. Un long soupir lui échappa. Nicolaï était las et sa vie manquait cruellement de piquant et il devait trouver quelque chose de plus excitant à faire s’il ne voulait pas terminer aux alcooliques anonymes où ils ne seraient pas vraiment anonyme. Oui. Il devait réduire la boisson. « En effet c'est plus prudent ! ». Sur le coup, Nicolaï acquiesça la tête en affichant un petit sourire. Il était tellement éméché que cette voix –on ne peut plus familière- lui sembla être celle de la raison dont la présence était tout à fait normale. C’était comme si Annushka ne l’avait jamais quitté, lui qui justement pensait à elle.

Soudain, Nicolaï tilta. Cette voix n’avait rien à faire ici tout comme la fenêtre n’avait pas à être ouverte à une heure pareille ni l’alarme désactivée. Le jeune homme se redressa tellement vite qu’il fut prit d’un vertige et dû jouer avec ses paupières pour que ses yeux puissent s’acclimater à la lumière et à la silhouette d’un fantôme de sa vie qu’il voyait en double. « Annushka ? » murmura-t-il dans un souffle, ayant lui-même peine à croire de ce qui se passait sous ses yeux. « On ne supporte pas l'alcool monsieur Potroïvski ? ». Tandis qu’elle se rapprochait de lui, Nicolaï restait interdit. Il avait cru ne plus jamais la revoir, surtout compte-tenu de leur rupture. Le jeune homme ne la quittait pas des yeux, y compris lorsqu’elle vint s’accroupir à son niveau pour se manquer gentiment de lui. « Tu sais il faut que tu fasses revoir la sécurité de ton appartement, des méchantes personnes pourraient s'y glisser pendant ton sommeil. Et ceci ... M'a l'air un peu dangereux pour toi Belle au Bois Dormant. ». Il devait vraiment avoir l’air d’un imbécile à la regarder comme un poisson en dehors de l’eau, mais l’alcool ne l’avait jamais aidé à réfléchir, au contraire, elle l’avait déjà poussé à faire des choses totalement stupides comme être à deux doigts de coucher avec Nikita. « Disons qu’il est loin le temps où j’étais un puits sans fond. » répondit-il enfin, brisant le silence qui planait maintenant entre les deux ex. « Et bien merci, je suis ravi de voir qu’on s’intéresse de près à ma sécurité. Dis-moi, qu’est-ce que tu fais ici, Blanche Neige ? » demanda-t-il, lui trouvant également un pseudonyme sortie tout droit des Walt Disney pour suivre le ton qu’elle avait employé.