Svetlana avait pour idée d'aller se promener au parc pour distribuer des affaires à deux trois de ses amis - sans abris -. C'était son truc, elle était gentille et aimait aider les gens qui l'entouraient au quotidien. Kylian n'était pas du même avis qu'elle et depuis ce matin il n'arrêtait pas de lui prendre la tête avec ça. Ils avaient même eu droit de se disputer, la première fois depuis longtemps. Le fiancé avait de bonnes raisons de s'inquiéter pour sa brunette, elle voulait s'aventurer seule dans un quartier mal fréquenté. En plus Sveta avait tendance à être très naïve et si on lui demandait cinq mille roubles, elle donnait cinq mille roubles. Un vrai boulet, un boulet qui allait devenir maman, mais qui au fond restait très enfant, et continuait à agir comme tel parfois.
La jeune femme avait finis par ignorer l'homme qu'elle aimait pour partir en direction du nord de Saint-Pétersbourg, vers un grand parc qu'elle adorait. Il ne faisait pas très chaud et sous son épais manteau, on ne la reconnaissait pas. Personne n'aurait pu reconnaitre la Potroïvskaïa - point en plus pour elle dans sa lutte contre son beau brun -. Ça la fit un peu sourire, elle pensait toujours un peu à lui et de ce fait il était toujours un peu avec elle. Son téléphone sonna et elle décrocha rapidement.

« Hey Kylian. Qu'est ce qu'il y a ? » « Où es tu ? Je te cherche depuis une heure, j'espère que tu n'es pas dans ce foutu parc ! » « Calme toi s'il te plait. Tout va bien, je ne fais que me balader. » « Sveta, on était d'accord pour que tu ne balades plus dans ce coin là. C'est trop dangereux pour toi et le bébé. » « Je suis une grande fille tu sais, je me débrouille. » « Rentre tout de suite à la maison ! » « A ce soir. » dit-elle avant de raccrocher.

Kylian était très protecteur, adorable mais parfois étouffant et depuis qu'il savait qu'elle était enceinte, ça ne faisait qu'empirer. Elle avait l'impression qu'elle n'avait le droit de sortir, de vivre et qu'elle devait se confiner grossir devant des films à l'eau de rose. Ce n'était tellement pas elle, elle avait besoin de bouger, de profiter de chaque instant de sa vie, de faire partager son bonheur avec tout le monde... Ce qui lui manquait le plus, c'était le mannequinat, elle aurait pu continuer encore un peu, mais elle avait peur que son corps lui fasse défaut.
Après avoir rendu visite à ses amis, la belle brune s'assit sur un banc dans un coin retiré, peu de passants passaient par là, mais elle y était bien. La nuit commençait à tomber et les "méchants" sortaient pour prendre place sur leur territoire - et elle continuait de rêver assise là au beau milieu de nul part -. Tout à coup elle entendit un bruit qui la sortit de sa torpeur et un frisson la parcouru. Tout son corps se mit en alerte pendant que son regard courait autour d'elle pour s'assurer qu'aucun danger ne venait. Son rythme cardiaque se mit à accélérer comme jamais jusqu'à ce qu'elle reconnaisse l'identité de son visiteur. « Nicolaï ? Qu'est ce que tu fais là ? C'est Kylian qui t'as envoyé ? »

Après des heures d’une interminable audience, le verdict était enfin tombé et le client de Nicolaï avait été acquitté de tous les chefs d’accusation retenus contre lui. C’était la fin d’une affaire qui avait duré presque trois longues années, un gros dossier qu’il allait prendre grand plaisir à archiver sur l’étagère des affaires classées. Modeste, Nicolaï n’avait pas affiché son contentement sur son visage lorsqu’il avait serré la main de son client, de son confrère et du juge qui avait prononcé son verdict. Lorsqu’on passe autant de temps dans une salle à servir un plaidoyer, on ressent le besoin de prendre un bon bol d’air frais, aussi Nicolaï quitta le tribunal à la hâte. Une main dans la poche de son pantalon, l’autre tenant sa serviette, il descendit les marches à une telle vitesse qu’il donnait presque l’impression de sautiller puis, traversa la route pour regagner le parking où il avait garé sa voiture. Il l’avait presque atteinte lorsque la sonnerie de son téléphone portable le coupa dans son élan. Nicolaï posa sa serviette sur le capot de son Audi R8 et se mit en quête de l’objet. C’était Kylian, le fiancé américain de Svetlana, sa petite sœur. Affolé et frustré, il l’informa que sa chère et tendre l’avait tout bonnement abandonné au profit des pauvres du Park Tikhiy Otdykh. Nicolaï la reconnaissait bien là. Toujours à aider son prochain. C’était tout à fait honorable venant d’une personne ayant eu la chance de grandir dans une famille riche, mais c’était aussi irréfléchi et dangereux. L’avocat passa près de cinq bonnes minutes à rassurer Kylian, lui promettant de s’y rendre, de lui téléphoner dès qu’il l’aurait trouvé et de la ramener le plus rapidement possible. Il grimpa dans sa voiture, posa sa serviette sur le siège d’à-côté, enleva sa cravate et démarra en trombe, quittant le parking du tribunal pour s’engager sur la route pour gagner le Nord de la ville, zone la plus défavorisée de Saint-Pétersbourg, mais aussi la plus dangereuse. Bien entendu, il fut coincé dans les embouteillages qui le ralentirent sérieusement et le rendait nerveux : la nuit allait bientôt tomber et sa sœur, enceinte, traînait dans un quartier peu fréquentable. Nicolaï avait toujours pris son rôle d’aîné très à cœur, il avait sacrifié son enfance pour en offrir une à Svetlana qu’il voulait épanouie alors forcément, la savoir en mauvaise posture l’inquiétait profondément.

Il arriva sur les lieux quelques minutes plus tard. Nicolaï descendit de son véhicule et jeta un coup d’œil au parc, profitant de la vue panoramique pour trouver sa sœur sans se soucier des regards braqués sur lui. Un homme en costard, au volant d’une petite merveille allemande ne passait pas vraiment inaperçu et déjà, une prostituée attirée par l’appât du gain se rapprochait de lui, prête à l’aborder et à lui proposer ses services. On pouvait dire que Nicolaï ne passait pas inaperçu, mais il s’en moquait parce que la sureté de Svetlana passait avant tout le reste, bien avant un portefeuille, une belle voiture ou sa réputation d’homme de loi qu’il était prêt à salir en se battant. Finalement, son regard s’arrêta sur une jeune femme assise sur un banc et qui semblait perdue dans ses pensées. La pression retomba aussitôt, soulagée de voir qu’elle n’avait rien. Il s’empara aussitôt de son téléphone pour prévenir Kylian et avança jusqu’à elle. Nicolaï en profita même pour l’effrayer dans le but de lui donner une petite leçon. Il avait toujours fonctionné comme ça avec Svetlana et jusqu’à présent sa méthode avait porté ses fruits. Lorsqu’elle le reconnut, le jeune homme esquissa d’un petit sourire. « Nicolaï ? Qu'est ce que tu fais là ? C'est Kylian qui t'as envoyé ? ». Nicolaï s’installa sur le banc, juste à côté de sa sœur, et colla un baiser sur sa joue. Ce geste d’affection n’avait jamais été toléré chez les Potroïvski, mais pour Nicolaï il ne s’agissait que d’une preuve d’amour qu’il était totalement stupide d’interdire. « Qui d’autre ? » répondit-il simplement, posant son bras sur le dossier du banc et s’y asseyant de manière nonchalante. A ce moment précis, il ressemblait plus à un sale type qu’à un avocat. « Tu ne peux pas nous en vouloir de veiller sur toi... et sur ton futur bébé. C'est notre rôle. Ce n'est plus uniquement de toi qu'il s'agit. On a grandi ici, Svetlana, tu sais qu’il vaut mieux ne pas s’aventurer seule dans ces quartiers. La prochaine fois, demandes-moi de t’y accompagner, je ne te refuse jamais rien… ça aussi tu le sais, n’est-ce pas sœurette ? » dit-il en caressant doucement sa joue. « J’ai prévenu Kylian que tu es avec moi. Tu veux discuter ? »

L'enfance qu'avait eu Svetlana aurait pu la tourner en petite poupée désireuse de toute avoir tout de suite - un peu comme sa capricieuse et adorable sœurette - mais non. Elle avait développé un cœur énorme d'une gentillesse inouï, et elle ne souhaitait qu'une chose, aider les gens pour qu'ils puissent atteindre un niveau de vie décent. Cette visite au parc lui permettait de soulager sa conscience et surtout de venir apporter un peu de lumière à des gens dans le besoin. Le fait que Kylian se mette en colère contre elle lorsqu'elle agissait ainsi la blessait, elle ne disait rien parce qu'elle se doutait qu'il ne faisait ça que pour la protéger. Il allait quand même devoir s'y faire, sa fiancée était une têtue qui voulait faire le bien autour d'elle - et leur enfant deviendrait surement comme elle -. En attendant, Sveta était seule dans son trip. Sa petite balade au parc s'éternisait, elle s'était assise sur un banc et ses pensées l'avaient amené dans un tout autre monde. Elle n'était plus à Moscou, ni même en Russie, elle était dans le monde de Svetlana Potroïvskaïa. Un monde bien illusoire, un monde ou tout les gens étaient égaux, un monde qu'elle ne put pas observer bien longtemps à cause de Nicolaï. Arrivant comme un voleur, il fit sursauter sa petite sœur avant de la rejoindre sur le banc. Elle savait pourquoi il était là alors malgré la tendresse et les bisous, elle n'arrivait pas à sourire. « Tu veux discuter ? » « Non. » En fait, elle crevait d'envie de parler à son frère de ce qu'elle avait dans la tête, elle le voulait vraiment, mais elle avait peur qu'il parte tout répéter à Kylian - après tout Kylian avait appelé Nicolaï cette après midi -. « Si. » Sveta releva la tête en faisant rouler ses yeux, elle n'aimait pas se contredire, encore moins aussi bêtement. En ce moment ça n'allait pas, elle ne savait pas pourquoi, c'était peut être le bébé, peut être les hormones qui la travaillaient déjà pour la rendre dingue. « Je suis hormonale alors promet moi de ne pas m'en vouloir si je dis une bêtise. » La brunette se rapprocha de son frère et alla se caler contre lui en se retrouvant un petit sourire. Elle s'excusait d'avance de ce quelle pourrait dire - c'était tout elle - alors qu'elle ne disait que très rarement des bêtises. « Maman était géniale, elle nous a élevé comme il le fallait, mais... mais je ne veux pas que mon bébé devienne comme toi ou Niki. Je veux qu'il se rende compte que même s'il a de l'argent grâce à nous, il n'est pas obligé de tout dépenser. Je veux qu'il donne son argent de poche aux pauvres et qu'il reste très très loin du portefeuille de son père. Ou de son oncle. »

Nicolaï sentait que sa présence n’était pas très appréciée par sa petite sœur et cela pouvait se comprendre puisqu’il risquait de s’aventurer sur une discussion qui n’était pas de ressort : la relation de Svetlana avec Kylian parce qu’après tout, c’était ce dernier qui avait contact l’aîné des Potroïvski afin de l’aider à raisonner sa benjamine. Par son comportement et le ton qu’elle employa, Nicolaï n’eut aucun mal à le ressentir : il n’avait pas sa place ici. C’était le monde de Svetlana, un monde qu’il avait parfois bien du mal à comprendre. Nicolaï lui demanda alors si elle souhaitait lui parler, conscient que quelque chose la chagrinait. La vie de la fratrie des Potroïvski avait connu un réel chamboulement lorsque leur mère était tombé malade preuve en était la relation incestueuse qu’il entretenait maintenant avec Nikita bien que celle-ci ne soit pas sa vraie sœur. S’il venait à l’avouer, la petite bulle de protection dans laquelle il vivait risquait bien d’exploser et de creuser encore plus l’écart qu’il y avait entre eux. Svetlana déclina aussitôt son offre, obligeant Nicolaï à encrer son regard dans le sien, voyant qu’au fond d’elle, la future maman ne demandait que ça. Il sourit lorsqu’elle changea d’avis, c’était typiquement du Svetlana tout craché. « Je suis hormonale alors promet moi de ne pas m'en vouloir si je dis une bêtise. ». Nicolaï étouffa un léger rire amusé lorsqu’elle lui servit cette fausse excuse, hormonale ou non, Svetlana disait parfois quelques bêtises, mais celles-ci étaient souvent plus amusantes qu’autre chose. Bien qu’elle soit mannequin, Svetlana n’était pas comme toutes ces filles superficielles obnubilées par leur ligne, elle était dotée d’une intelligence digne de Potroïvski sauf qu’elle avait hérité d’un petit côté naïf et généreux qui la rendait attachante. De mémoire, Svetlana faisait toujours preuve d’originalité, elle avait une certaine créativité que Nicolaï avait toujours secrètement admirée. Un petit bout de femme avec qui il avait grandi et qui arrivait toujours à le surprendre malgré tout. Nicolaï la laissa se caler tout contre lui, comme au bon vieux temps. Il se rendait compte à quel point ce simple geste l’avait manqué. La dernière fois remontait sans doute au triste jour des funérailles de leur mère. « Je ne suis pas venu pour te juger, mais pour t’écouter. Tout ce que tu diras ne sortira pas de ce parc, je t’en fais la promesse. ». Et le secret, ça le connait ! Si seulement Svetlana pouvait savoir à quel point la vie de son frère était un véritable désastre. Il se sacrifiait bien plus pour les autres qu’il le laissait paraître. En tant qu’avocat, il veillait au secret professionnel et bien sûr, il avait été l’ultime confident de sa mère sur son lit de mort lorsqu’elle celle-ci lui avoua qu’en réalité Nikita n’était pas leur sœur. Nicolaï sentait que Svetlana hésitait à se confier à lui par peur qu’il n’aille tout raconter à Kylian ce qui n’était absolument pas son genre.

« Maman était géniale, elle nous a élevé comme il le fallait, mais... mais je ne veux pas que mon bébé devienne comme toi ou Niki. Je veux qu'il se rende compte que même s'il a de l'argent grâce à nous, il n'est pas obligé de tout dépenser. Je veux qu'il donne son argent de poche aux pauvres et qu'il reste très très loin du portefeuille de son père. Ou de son oncle. ». Nicolaï fronça un peu les sourcils, ne sachant pas exactement où Svetlana voulait en venir. Ils avaient grandi dans une famille riche et n’avait manqué de rien, c’était vrai, mais Nicolaï s’était toujours battu pour prouver qu’il était capable de se débrouiller seul et surtout pour se détacher de l’entreprise familiale qu’il était censé reprendre, un héritage empoisonné d’après lui. Nikita avait été – de très loin – la personne la plus capricieuse durant son enfance, mais avait changé radicalement lorsque leur mère était tombée malade. La petite princesse était redevenue la Cendrillon sans éclat et sans marraine. « Allons, notre famille n’est pas si terrible que ça, tu sais. Nous avons tous mûris et nous n’avons pas tous profiter de notre argent ou de notre popularité pour nous en sortir. Nous deux, par exemple, nous avons voyagé jusqu’aux Etats-Unis pour nous éloigner de l’influence de papa et Nikita conjugue étude et travail dans un bar alors qu’elle n’en a pas du tout besoin. Au contraire, s’il finit comme nous alors il se rendra compte que certaines choses comme l’Amour, l’Amitié et le Respect en tant qu’individu ne s’achètent pas, elles se gagnent. Je ne vois pas pourquoi tu t’inquiètes, tu seras une bonne mère, il n’y a qu’à t’entendre parler de l’éducation que tu veux lui donner. »

« Au contraire, s’il finit comme nous alors il se rendra compte que certaines choses comme l’Amour, l’Amitié et le Respect en tant qu’individu ne s’achètent pas, elles se gagnent. » Svetlana buvait les paroles de son frère, il parlait avec beaucoup de sagesse et faisait en sorte que sa sœur comprenne les moindres détails de chaque arguments. Et il avait bien raison de prendre un peu de temps pour lui expliquer, car grâce à cela, elle pouvait contraster sa vision des choses. Ils n'avaient pas été des petits gamins pourris gâtés - sauf la cadette -, ils auraient pu, mais ils avaient refusés pour se construire d'eux même... La fratrie Potroïvski avait tout fait pour contourner les lois de la bourgeoisie russe - même s'ils avaient quand même grandi dans un monde privilégié -. « Je ne vois pas pourquoi tu t’inquiètes, tu seras une bonne mère, il n’y a qu’à t’entendre parler de l’éducation que tu veux lui donner. » Pour le coup, son fréro ne savait pas de quoi il parlait, ou peut être qu'elle avait l'impression qu'il était à côté de la plaque parce qu'elle savait - alors que sa peur était du à sa non connaissance -. C'est vrai qu'être enceinte vous donnait une sensation de tout savoir - ce qui était non fondé - il fallait travailler encore et encore pendant 9 longs mois avant d'être prête. « Je ne suis juste pas... c'est pas bien important ce que je voulais dire, oublie. » Du tout elle, elle s'effaçait et échappait à la conversation lorsque le sujet la dépassait. Elle n'en était pas fière, mais c'était sa solution - son plan B -. « Kylian part à New York la semaine prochaine pour quelques tournages et comme je m'ennuie déjà à la maison je pensais que je pourrais venir t'aider un peu à ton boulot - ranger tes papiers, t'apporter ton café, tout ce que tu veux -. Comme ça tu pourras veiller sur moi et je pourrais t'embêter à longueur de journée. » Svetlana entama un petit jeu consistant à glisser ses mains sur le corps de son frère pour le chatouiller - dur avec une couche de muscle aussi importante - et le sourire lui revenait. Elle n'était plus adulte pendant quelques minutes, elle retrouvait son enfance, celle là même ou elle s'amusait à courir après Nicolaï pour l'embêter, lui voler ses jouets pour les améliorer. Lorsqu'elle se rendit compte qu'elle n'avait aucune chance de gagner cette bataille, elle réagit rapidement - pour éviter la torture - en se levant d'un coup. Elle se présenta devant son frère, fit une révérence gracieuse avant de tendre une main vers lui. « Tu m'accordes cette valse ? » Nicolaï était son partenaire de danse préféré, il ne lui écrabouillait presque pas les pieds - contrairement à leur père - et à vrai dire, lorsqu'ils dansaient elle se sentait plus libre - presque plus Potroïvskaïa -.

Danser au beau milieu d'une allée sombre dans un parc n'avait rien de glamour, c'était même un peu bizarre, mais la bizarrerie des uns est la normalité des autres. Sans musique - Sans bruit - Sans soucis. « Danser, c’est comme parler en silence. C’est dire plein de choses sans dire un mot. »