Qui que l’on soit au fond de nous, nous ne sommes jugés que d’après nos actes.

D'aussi loin que je me souvienne, ma mère a toujours voulu me protéger. Le truc c'est que ça remonte à loin, tellement loin que pour moi, ça vient d'une autre époque. Elle était douce et aimante, toujours à vouloir me garder dans le monde qui était le mien, celui de l'enfance. Je me rappelle qu'un jour, mon père a insisté pour me changer d'école un jour. Une école non mixte à Moscou. Pensionnat. Me séparer de tous mes repères, comme son propre père l'avait fait avec lui. Histoire de m'endurcir un peu. Je devais avoir sept ans. Ce soir là il y a eu une dispute monumentale entre mes parents car ma mère refusait catégoriquement de m'envoyer si loin. Ils ne l'ont jamais su mais j'ai tout entendu à l'époque, Tonia et moi étions en haut des escaliers. Faut dire que je ne comprenais pas grand chose à l'époque. Bref. Mon père est très vieux jeu vous savez. Après tout, notre famille est l'une des plus vieilles de Saint-Pétersbourg, donc vive la bourgeoisie ! Bordel, ma prof de droit me soule ! Elle bégaie tellement que le cours dure deux fois plus longtemps qu'à la normale. Vivement que mon ancien prof revienne de son congé parental. Quelle idée de faire des gosses au beau milieu de l'année ? De toute façon, qu'est ce que ça change. Le droit n'est pas ma passion et pourtant, je commence bien ma troisième année à l'université. Cherchez l'erreur. Mais je ne m'étendrai pas plus sur le sujet. Juste ... je fais ça pour mon père. Encore lui, mais il le fait pour bien. J'envie tout de même mes sœurs sur ce point car il les laisse tranquille et elles font ce qu'elles veulent. Enfin bon. Aleksandra se retourne vers moi avec un sourire mielleux. Elle veut que je vienne à sa fête, après-demain soir, comme la plupart des autres personnes de ce cours ... Je réponds à son sourire mais de façon hypocrite du genre "ta gueule connasse". Aleksandra est le genre très pieuvre collée à son rocher, voilà pourquoi je ne suis pas très poli. Merde, mon portable vibre dans ma poche. Heureusement que cette vieille peau est aussi sourde que ma grand-mère. Je le sors discrètement de ma poche et le nom qui est marqué sur l'écran ... Kassian. Merde. Aussitôt des images de l'autre nuit défile dans mon esprit. Floues et nettes à la fois. Horriblement présentes dans mon esprit. Même trois jours après, j'ai toujours l'impression de sentir sa peau contre la mienne et la sensation de ses lèvres contre les miennes ... J'appuie sur le bouton 'raccroché' et fous mon portable dans ma poche. Mâchoire crispée. Penser à autre chose, vite ... trop tard. Ma tête est remplie des traces de cette fameuse nuit. D'images et de sensations enivrantes qui ont embrumé mon esprit en un temps record. Son souffle sur ma peau. Je secoue la tête. Je ne suis pas une pédale. Je ne serai jamais une pédale. Le premier qui ose dire un truc là-dessus je le massacre. Je ne suis pas une tapette. Mon voisin de table me regarde avec de grands yeux. Je suis en train de massacrer mon stylo. Je dois lui foutre la trouille, tant mieux. Papa dit toujours que foutre la trouille à ses adversaires dans le milieu des affaires c'est plutôt un bon truc. J'ai du mal à me reconcentrer sur le cours à cause de cet appel. Putain, mais quel connard de m'appeler à cette heure là aussi ? On n'a pas tous les chance d'avoir un petit boulot ! Bon d'accord j'exagère mais ... Bref mec, n'y pense plus. L'autre nuit c'était juste rien okay ? Pense ... pense aux filles tiens. Pense à Ariadna par exemple et à toutes les autres. Voilà, ça fait toujours son effet c'est bon. En parlant de filles, Ella et Antonina veulent que je les accompagne à Moscou ce week-end. En grandissant, mes soeurs et moi nous sommes rapprochés mais au point de les accompagner à Moscou ... Bon d'accord je vais le faire vu que ce n'est pas la première fois. A moins que mon père décide que j'ai quelque chose à faire. Oui, comme c'est censé être moi son successeur à la tête de son empire immobilier ... A votre avis, qu'est ce que je fous en droit ? La sonnerie retentit. Enfin. Les éclats de voix se font entendre car après tout ça fait une heure que tout le monde a envie de parler. Timur et Vadim parlent de la prochaine fête et Stas et moi évoquons le prochain bal qui se déroule au Palais. Aaah les bals du palais, une obligation pour toute ma famille mais je m'en passerai bien honnêtement. J'ai du mal avec les habits de pingouin. Bref, on est tous sortis de l'amphithéâtre et c'est là que je me suis rendu compte que je n'avais plus cours ensuite, comme mes potes. Ouais même si je suis à l'université, on va dire que sans me vanter, je suis toujours aussi populaire ... enfin la famille à laquelle j'appartiens et le fait que je sois friqué y est peut-être pour quelque chose. Les couloirs de l'université sont remplis, c'est bientôt la fin des cours. On descend au rez-de-chaussée, on traverse le couloir des casiers et on passe le hall d'entrée pour sortir en discutant ... de cul et des filles, ça va ensemble. Nous voilà donc dehors, on descend les escaliers et ... Bordel. Qu'est ce qu'il fout là ce connard ? Kassian est là, sur le côté, son portable en main, adossé contre un des piliers. Il me fixe avec ses yeux ... L'enfoiré ! Je dis aux gars de pas m'attendre et je me dirige vers Kassian, qui me fixe avec son air de génie. Je ne lui laisse pas le temps de parler et pousse contre le mur. « Qu'est ce que tu viens foutre ici ? » A ce moment, j'ai vraiment envie de frapper son visage si parfait et si sur de lui. Tout allait très bien avant que ma soeur me présente Kassian et même si je ne l'avouerai jamais, il est devenu une menace qui pourrait faire s'écrouler toute ma vie. « Te dire bonjour, tu réponds pas au téléphone donc je me suis dit que j'allais venir. » Je le regarde comme si ce qu'il vient de dire est la plaisanterie la plus mauvaise du monde. « Pour qui tu te prends ? On n'est pas marié je te signale ! » « Ouais mais on a couché ensemble. » Il a de la répartie ce petit con et sait très bien où appuyer pour faire mal. Le truc à ne pas dire parce que je veux à tout prix oublier cette nuit là et il est le seul qui peut me torturer avec. Je l'ai regardé d'un air vraiment mauvais avant de le plaquer violemment contre le mur. « Il ne s'est rien passé cette nuit là, t'es peut-être une tapette mais moi je le suis pas et si t'en parles à quelqu'un je te fous mon point dans ta gueule de blond, d'accord ? » C'est là que je remarque que nos visages sont à quelques centimètres l'un de l'autre. Et pendant un demi dixième seconde, je le jure, juste ça, mes yeux sont descendus sur ses lèvres qui ... oh le con ! Il l'a fait exprès, il savait que je m'énerverai. Son sourire insolant est ... Je l'ai relaché avant de faire une connerie, j'ai fait demi tour et je suis parti avant que quelqu'un ne remarque quelque chose. « Tôt ou tard tu seras obligé de t'avouer la vérité Issaak ! » Je continue de marcher, à m'éloigner de lui. Que peut-il y comprendre ? Comment lui expliquer que mon monde ne permet ... Mon père, que mon père ... Peu importe, jamais.